Dumping fiscal : « Les règles de l’UE doivent être modifiées »

De nombreux États de l’Union européenne utilisent le dumping fiscal comme modèle économique. Entretien avec Fabio De Rencontre (député européen du parti de gauche allemand Die Linke), vice-président de la Commission d’enquête sur l’évasion fiscale.

16/11/2016
DE MASI, Fabio (GUE/NGL, DE)

L'Interview a publié en 16.11.2016 en solidaire.org[1]

Comment fonctionne le modèle de dumping fiscal, au sein de l’Union européenne ? 

Fabio De Masi. Les multinationales transfèrent leurs bénéfices dans des pays aux taux d’imposition très bas. Très souvent, cela se fait via des crédits fictifs ou des droits de licence pour des brevets. Ainsi, par exemple, Apple paie un droit de licence à une filiale en Irlande. En 2014, sur ses bénéfices au sein de l’UE, Apple n’a payé que 0,005 % d’impôts. 

Apple est-il seul à agir de la sorte ou d’autres groupes se livrent-ils aussi au dumping fiscal ? 

Fabio De Masi. En fait, toutes les grandes entreprises internationales le font. D’Amazon à McDo en passant par Ikea ou Starbucks. Les groupes américains doivent d’abord payer des impôts sur leurs bénéfices à l’étranger avant de pouvoir transférer cet argent aux États-Unis. Au sein de l’UE, ils nous disent : « Laissez-nous tranquilles car, prochainement, nous allons devoir payer des impôts aux États-Unis. » Mais ils ne le font jamais car, au gouvernement américain, ils disent : « Nous ne ramènerons l’argent que si vous réduisez le taux d’imposition. » Aux États-Unis, des représentants de ces groupes m’ont expliqué que l’impôt des sociétés n’était plus de notre temps. 

Si toutes les entreprises paient trop peu d’impôts, pourquoi alors n’y a-t-il qu’à Apple qu’on réclame un remboursement ? 

Fabio De Masi. D’après les traités de l’UE, celle-ci n’est pas compétente. Elle ne peut intervenir que via le droit de la  concurrence. C’est absurde mais vrai : si Apple paie 0,005 % d’impôts et que Google paie 1 %, Google est discriminé, d’après le droit de la concurrence. La Commission doit prouver que l’Irlande a octroyé illégalement des subsides d’État à Apple. Il s’agit ici des prix internes à l’aide desquels les groupes calculent leurs brevets ou crédits fictifs. La procédure passant par le droit de la concurrence est particulièrement compliquée. C’est pourquoi la Commission se concentre sur les gros poissons. Washington émet des critiques et prétend que la Commission de l’UE ne se concentre que sur des entreprises en provenance des États-Unis. 

La Commission est-elle livrée sans l’ombre d’une chance aux grands groupes ? 

Fabio De Masi. Dans cette matière, la Commission ne dispose que de 15 à 25 fonctionnaires. Nous devrions évoluer vers un système dans lequel il importe peu où les groupes au sein de l’UE transfèrent leur argent ou où les bénéfices sont redistribués en concordance avec le chiffre d’affaires ou le nombre de travailleurs. Un pays avec des firmes « boîtes aux lettres » ne gagne rien, dans ce cas. En outre, il faut introduire un impôt minimum. Mais, de par les traités de l’UE, cela n’est pas possible. Et, en plus, Apple n’a pas dû payer d’amende, il a simplement dû rembourser un avantage fiscal déloyal. Qui plus est, l’argent retourne vers les pays qui ont proposé le modèle de dumping fiscal. Pourtant, le gouvernement irlandais entend bien ne pas accepter de récupérer cet argent.  

Pourquoi Dublin ne veut-il pas de ces 13 milliards d’euros ?

Fabio De Masi. Parce que l’Irlande veut continuer à recourir à ce modèle de business. En fin de parcours, tous les pays sont les perdants de la spirale descendante de la concurrence fiscale et les sociétés en bénéficient. La politique fiscale est un moyen inadéquat pour compenser les désavantages en matière de développement économique. Le Luxembourg, par exemple, justifie son modèle fiscal par le fait que, dans les années 1970, il a connu une crise de la sidérurgie. Pour cela, on a besoin d’une politique industrielle mais, de par le droit européen de la concurrence, c’est interdit. Cela reviendrait à octroyer des subsides d’État illégaux.

L’Irlande est-elle le plus gros paradis fiscal de l’UE ?

Fabio De Masi. L’Irlande et le Luxembourg sont d’importants acteurs. Des rumeurs circulent disant que Dublin suit un cours nouveau et entend bien détourner des groupes du Luxembourg. Mais ce sont toutefois les économies les plus solides qui font le plus de dégâts. Les Pays-Bas et l’Allemagne sur le plan du blanchiment, la Grande-Bretagne en raison de ses territoires d’outre-mer. 

Les groupes ne quitteraient-ils pas un pays en le laissant sens dessus dessous, si on leur réclamait des impôts plus substantiels ? 

Fabio De Masi. Non, car le marché européen est bien trop important pour ces entreprises. Apple ne cessera pas du jour au lendemain de vendre ses GSM en Europe du fait qu’il va devoir payer normalement des impôts. Il y a eu des périodes durant lesquelles les groupes ont dû puiser bien davantage dans leurs poches et durant lesquelles les entreprises investissaient beaucoup plus aussi. Sur ce plan-là, il n’y a donc aucun rapport. Si la politique fiscale était LE facteur déterminant, la Somalie connaîtrait une période de vaches grasses, économiquement parlant. 

Sur quoi le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, doit-il s’appuyer, pour poursuivre les fraudeurs fiscaux ?  

Fabio De Masi. Juncker est le parrain du cartel fiscal et c’est un homme de l’univers du « big business ». Il a transformé le Luxembourg en paradis fiscal. Nous devons pouvoir imposer des amendes fiscales sur l’argent transféré vers les paradis fiscaux. Pour ce faire, il convient de changer les règles de l’UE. Car la Cour européenne de justice considère cela comme une limitation de la libre circulation du capital. 

liens:

  1. http://solidaire.org/articles/dumping-fiscal-les-regles-de-l-ue-doivent-etre-modifiees