Nous demandons à l'UE d'exiger de la Turquie un retour à l'Etat de droit

Une lettre ouverte

25/07/2016
Presseschau

Bruxelles, le 23 juillet 2016

A Madame Federica Mogherini, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; Vice-Président de la Commission européenne et à Monsieur Thorbjørn Jagland, Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Le 15 juillet dernier, la Turquie a été victime d’une tentative de coup d’Etat militaire, qui s’est soldée par au moins 200 morts (pour la plupart des civils) et plus de 1400 blessés. Aussitôt après l’échec du coup d’état, le gouvernement turc a entrepris, à l’intérieur de l’administration et des services publics, une purge de masse, qui apparaît sans aucune proportion avec l’événement. Le nombre total des individus chassés de leur fonction, interdits d’exercice ou même arrêtés, s’élève d’ores et déjà à plus de 61 000, incluant notamment : pour le ministère de la Justice, 2875 juges ; pour les services du Premier ministre, 257 fonctionnaires et employés ; pour le ministère de l’Intérieur, 8777 fonctionnaires de police et de gendarmerie, gouverneurs de provinces et gouverneurs locaux, employés ; pour le ministère de l’Education nationale, 21 738 suspensions ; pour l’Enseignement supérieur, 116 professeurs dont 4 recteurs, auxquels s’ajoutent les 1577 doyens dont la démission est exigée ; pour le ministère de la Famille et des affaires sociales, 393 fonctionnaires ; pour le ministère des Finances, 1500 employés ; pour la Sécurité nationale, 100 membres des services ; pour le Conseil de surveillance du marché de l’énergie, 25 employés ; pour le ministère du Développement, 16 employés ; pour le ministère des Eaux et forêts, 197 employés ; pour le ministère de l’Energie et des ressources naturelles, 300 employés ; pour le ministère de la Jeunesse et des sports, 245 employés ; pour le ministère de l’Environnement et de l’urbanisation, 70 employés ; pour le Conseil supérieur de la radio-télévision, 29 employés ; pour l’Agence de contrôle et de régulation bancaire, 86 employés ; pour le ministère du Commerce extérieur et des douanes, 176 employés ; pour la Haute autorité de la concurrence, 8 employés ; pour la Cour de justice militaire, 35 employés ; pour le ministère de la Défense, 7 employés ; pour la Bourse d’Istanbul, 52 employés… En outre, 21 000 licences d’enseignement dans les écoles privées ont été révoquées.

Selon toute probabilité, les universitaires seront les prochaines cibles visées : plusieurs milliers d’entre eux font déjà l’objet de poursuites, accusés de «soutenir le terrorisme» pour avoir exprimé leur solidarité avec les populations kurdes de la région du sud-est de la Turquie, qui depuis un an font l’objet d’attaques répétées et meurtrières de la part des forces armées turques.

Des sources dignes de confiance – en particulier le Commissaire européen pour la politique régionale et l’élargissement européen, Johannes Hahn – font savoir que les listes d’arrestations avaient été préparées avant même le déclenchement du coup d’état. Certaines sources soutiennent l'idée que le coup d’état a été organisé pour éviter les arrestations qui ont suivi.

 Le Premier ministre turc a décidé d’annuler les vacances annuelles de plus de trois millions de fonctionnaires dans tout le pays. Les employés du secteur public ont aussi l’interdiction de voyager à l’étranger. Enfin, au cours de son interview sur CNN du 18 juillet, le Président Recep Tayyip Erdogan a laissé entendre que la peine de mort pourrait être rétablie en Turquie. Depuis lors, l’état d’urgence a été proclamé en Turquie, suivi par la suspension temporaire de la Convention européenne des droits de l’homme, telle que l’autorise son article 15. Mais cet article n’autorise pas pour autant le mépris des principes fondamentaux définis par la Convention.

En somme l’équilibre des pouvoirs n’existe plus dans le pays. On apprend que les personnes placées en garde à vue ne trouvent pas d’avocats pour les défendre, parce que ceux-ci n’osent pas prendre leur dossier en charge, de peur de se retrouver eux-mêmes sur les listes de proscription.

Or la Turquie est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme et du protocole n° 6 concernant l’abolition de la peine de mort. En tant que candidat à l’adhésion à l’Union européenne, elle s’est également engagée à respecter intégralement les critères de Copenhague, qui incluent l’intangibilité des institutions garantes de la démocratie, de l’Etat de droit, des droits de l’homme, de la protection et du respect des minorités, et enfin, l’abolition de la peine de mort.

Nous, signataires de cet appel, condamnons toute tentative de renverser l’ordre démocratique par un coup d’État militaire. Mais nous condamnons tout autant les purges décidées par le gouvernement turc en violation des droits de l’homme et de la légalité. Le principe de l’indépendance et de l’impartialité de la magistrature, en particulier, est avec celui de la liberté de la presse le fondement de l’Etat de droit démocratique. L’indépendance politique du corps enseignant fait partie des conditions d’existence d’une société libre.

Nous en appelons au Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Madame Federica Mogherini, et au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Monsieur Thorbjørn Jagland, pour qu’ils suivent de très près l’évolution de la situation en Turquie en matière de respect des droits de l’homme et de la légalité. Nous leur demandons d’exiger la libération immédiate de tous ceux qui ont été arbitrairement arrêtés et détenus à la suite du coup d’État militaire manqué.

Nous leur demandons aussi de ne pas oublier que le Parlement turc a récemment adopté une loi levant l’immunité parlementaire de députés appartenant pour la plupart au parti d’opposition HDP. Tout semble indiquer que le coup d’état constitue pour le gouvernement une occasion d’aller plus loin encore dans la limitation des droits des oppositions et la suppression de leur capacité de surveillance de la démocratie. Peu de temps après son retour à Istanbul samedi 16 juillet au matin, M. Erdogan a pu déclarer : «Cette insurrection est un don de Dieu, parce qu’elle va nous permettre de purger l’armée» de ses mutins.

Nous demandons également à Madame Mogherini, en sa double qualité de Haut représentant et de Vice-Président de la Commission Européenne, d’exercer sa vigilance en apportant une attention particulière à la situation de la minorité kurde et d’autres minorités dans le pays. Nous demandons à Monsieur Thorbjørn Jagland, en sa qualité de Secrétaire général du Conseil de l’Europe, de rappeler au gouvernement turc son obligation de respecter la Convention Européenne des droits de l’homme, ainsi que tous ses protocoles, y compris le droit à la vie, le droit à une justice équitable, et la protection contre les arrestations arbitraires.

Nous insistons pour que Madame Mogherini, à la lumière des récents développements, recommande au Conseil Européen la suspension immédiate de l’accord du 18 Mars entre la Turquie et l’Union Européenne. Il est en effet apparu depuis la signature de cet accord que la Turquie ne peut pas être considérée comme un «pays sûr» pour les réfugiés et demandeurs d’asile.

Enfin, nous demandons à tous les Etats membres de l’Union européenne d’intervenir auprès du gouvernement turc pour exiger la restauration de l’état de droit et des principes démocratiques dans le pays, condition fondamentale pour la continuité des relations diplomatiques normales et la poursuite des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE.

Avec l’expression de notre haute considération,

  • Barbara Spinelli – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL (Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique)
  • Albena Azmanova – Associate Professor of Political and Social Thought. Director, postgraduate programmes Political Strategy and Communication and International Political Economy University of Kent, Brussels School of International Studies
  • Étienne Balibar – Professeur émérite (Philosophie), Université de Paris-Ouest ; Anniversary Chair in Modern European Philosophy, Kingston University London
  • Seyla Benhabib – Eugene Mayer Professor of Political Science and Philosophy at Yale University
  • Sophie Bessis – Historienne, Tunisie-France
  • Hamit Bozarslan – Historien et politologue, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Paris
  • Susan Buck-Morss - Political Philosopher, CUNY Graduate Center, New York
  • Judith Butler – Maxine Elliot Professor of Comparative Literature and Critical Theory, University of California, Berkeley
  • Claude Calame – Historien et anthropologue, Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Paris
  • Joseph H. Carens – FRSC Professor of Political Science University of Toronto
  • Maeve Cooke – Membre de la Royal Irish Academy, Professor of Philosophy, University College Dublin
  • Vincent Duclert – Historien, Ecole des hautes études en sciences sociales, France
  • Didier Fassin – Professor of social sciences, Institute for Advanced Study, Princeton
  • Éric Fassin – Professeur de sociologie, Université Paris-8
  • Shelley Feldman – International Professor, Cornell University
  • Michael Hardt – Professor, Duke University, USA
  • David Harvey – Distinguished Professor, Graduate Center of the City University of New York
  • Marianne Hirsch – William Peterfield Trent Professor of English and Comparative Literature at Columbia University and Director of the Institute for Research on Women, Gender, and Sexuality
  • Philip Hogh – Philosophy Department, Carl von Ossietzky University Oldenburg
  • Jean E. Howard – George Delacorte Professor in the Humanities, Department of English and Comparative Literature, Columbia University
  • José Inácio Faria  Député européen, (ALDE)
  • Julia Koenig – Institute for Social Pedagogy and Adult Education, Goethe University, Frankfurt am Main
  • Elena Loizidou – Reader in Law and Political Theory at School of Law, Birkbeck, University of London
  • Sandro Mezzadra – Professor of political theory at the University of Bologna
  • Jennifer Nedelsky – Faculty of Law and Political Science, University of Toronto
  • Rosalind Petchesky – Distinguished Professor Emerita of Political Science Hunter College & the Graduate Center, City University of New York
  • Ilaria Possenti – Université de Vérone, Italie
  • Mary Louise Pratt – Silver Professor, Professor Emerita of Social and Cultural Analysis, Spanish & Portuguese, Comparative Literature, New York University
  • Lynne Segal – Anniversary Professor, Psychosocial Studies, Birkbeck College, University of London
  • Vicky Skoumbi – Rédacteur en chef de la revue αληthεια, Athènes
  • Céline Spector – Professeur au Département de Philosophie, Université Michel de Montaigne, Bordeaux, Membre honoraire de l’Institut Universitaire de France
  • Yanis Varoufakis – Professeur de Théorie économique, Université d’Athènes, ancien Ministre des finances et député au Parlement grec
  • Frieder Otto Wolf – Professeur, Freie Universität Berlin, ancien député au parlement européen
  • Vladimiro Zagrebelsky – Ancien Juge à la Cour Européenne des Droits de l’Homme
  • François Alifei – Député au Parlement Européen, Groupe S&D (Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen)
  • Nicola Caputo – Député au Parlement Européen, Groupe S&D
  • Fabio Massimo Castaldo – Député au Parlement Européen, Groupe EFDD-M5S
  • Fabio De Masi – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL (Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique)
  • Karima Delli – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE (Groupe des Verts/Alliance libre européenne)
  • Pascal Durand – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE
  • Eleonora Forenza – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • María Teresa Giménez Barbat – Député au Parlement Européen, Groupe ALDE (Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe)
  • Ana Maria Gomes – Député au Parlement Européen, Groupe S&D
  • Tania González Peñas – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Yannick Jadot – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE
  • Benedek Jávor – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE
  • Eva Joly – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE
  • Josu Juaristi Abaunz – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Jude Kirton-Darling – Député au Parlement Européen, Groupe S&D (Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen)
  • Stelios Kouloglou – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Merja Kyllönen – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Patrick Le Hyaric – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Lorena Lopez de Lacalle – Trésorier de l’Alliance Libre Européenne (ALE)
  • Stefano Maullu – Député au Parlement Européen, Groupe PPE (Groupe du Parti populaire européen)
  • Ulrike Müller – Député au Parlement Européen, Groupe ALDE (Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe)
  • Javier Nart – Député au Parlement Européen, Groupe ALDE
  • Carolina Punset – Député au Parlement Européen, Groupe ALDE
  • Michèle Rivasi – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE
  • Elly Schlein – Député au Parlement Européen, Groupe S&D
  • Helmut Scholz – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Branislav Škripek – Député au Parlement Européen, Groupe ECR (Groupe des Conservateurs et Réformistes européens)
  • Jordi Sole – Secrétaire Général de l’Alliance Libre Européenne (ALE)
  • Bart Staes – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALE
  • Dario Tamburrano – Député au Parlement Européen, Groupe EFDD-M5S
  • Miguel Urbán Crespo – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Pello Urizar – Secrétaire Général de Eusko Alkartasuna (parti politique basque)
  • Marie-Christine Vergiat – Député au Parlement Européen, Groupe GUE/NGL
  • Julie Ward – Député au Parlement Européen, Groupe S&D
  • Tatjana Zdanoka – Député au Parlement Européen, Groupe Verts/ALEfonsi – Président de l’Alliance Libre Européenne (ALE)
  • Brando Ben